Un article du Dr Paul White qui met en avant le rôle pionnier de la Nouvelle-Zélande dans la création de Sauvignons fruités et légers.
Le sauvignon blanc a joué un rôle moteur dans la viticulture à la fois ligérienne et bordelaise pendant des siècles. Il doit sa notoriété à la Californie, mais c’est bien la Nouvelle-Zélande qui a été le premier pays producteur du Nouveau Monde à lui donner une dimension entièrement nouvelle, plus fraîche et plus légère. Du point de vue de certains, nul autre sauvignon n’exprime autant d’exotisme ni de fruité intense (fruit de la passion, pamplemousse, citron vert, groseille à maquereaux, mangue, goyave…), d’arômes herbacés tonifiants (plant de tomate, ortie) ni d’acidité vive susceptible de titiller les papilles. Il faut imaginer le Sancerre ayant recours à des substances psychotropes, « gonflé aux stéroïdes » ou aux drogues psychédéliques, voire les deux.
L’explication de ce phénomène réside dans l’ensoleillement intense, la situation géographique, les sols peu fertiles et drainants, la culture agricole novatrice en Nouvelle-Zélande et, un brin de chance. Et le Dr Richard Smart de résumer le développement du sauvignon néo-zélandais de la manière suivante : « C’était le bon cépage et le bon clone au bon moment et au bon endroit ».
Tous ces facteurs se sont conjugués au milieu des années 80 lorsque Smart, un technicien viticole nommé par le gouvernement, est rentré de la première conférence dédiée aux climats frais en 1984 dans l’Oregon, avec la conviction que la Nouvelle-Zélande devait changer de cap. Les producteurs devaient renoncer à l’adulation qu’ils vouaient au Muller-Thurgau, cépage à maturité précoce, pour se focaliser sur des variétés plus qualitatives provenant de l’Europe du Nord. Celles-ci devaient être cultivées de manière suffisamment intensive pour parvenir à maturité dans le climat plus frais de la Nouvelle-Zélande.
Par coïncidence, une poignée de producteurs situés à Marlborough (Hunters, Cloudy Bay, Montana, Matua, Jackson Estate, Lawsons…) commençaient alors à exporter leurs premières bouteilles de sauvignon en direction de leur mère patrie, l’Angleterre. Radicalement différent de ses homologues français et américains, le ‘savvy’ néo-zélandais a immédiatement fait sensation en Grande-Bretagne, au moment même où la consommation de vin devenait un phénomène social de masse. A partir de ce moment-là, tout a réussi à la Nouvelle-Zélande. Celle-ci a conquis le marché britannique dans les années 1990, les Etats-Unis dans les années 2000 et l’Australie à partir de 2010 ; désormais elle a la Chine bien en ligne de mire.
A l’heure actuelle, le sauvignon domine à la fois la production locale (72%) et les exportations (86%), plus de 90% des volumes étant assurés par Marlborough. Malheureusement pour d’autres régions – tout aussi aptes à produire des typicités et des styles valables – Marlborough est devenu une marque à part entière, synonyme de sauvignon néo-zélandais.
La « recette » sauvignon
Une grande partie du succès du sauvignon issu de Marlborough est à attribuer à une « recette » commerciale presque parfaite (certes, il y a quelques exceptions à cette règle). Cette recette se décline comme suit : prendre un seul clone de sauvignon (UCD1), le greffer sur un porte-greffes SO4, le planter à une densité très aérée de 2 000 pieds à l’hectare (contre les 8 000 pieds rencontrés couramment dans le Sancerrois), le conduire de manière à ce qu’il porte des fruits sur quatre à six sarments (contre un ou deux à Sancerre) et positionner les rameaux de façon verticale sur un palissage haut afin de permettre une charge de 6 à 10 (voire parfois 20) tonnes à l’hectare (comparées à 2 à 4 pour Sancerre). A cela, rajouter une irrigation déficitaire régulée, des vendanges à la machine, une fermentation en cuves inox réfrigérées avec des levures aromatiques et le mettre en bouteille avec 6g de sucres résiduels pour équilibrer une acidité vive naturelle. Résultat : des vins nets et mûrs à la qualité constante, présentant des arômes variétaux purs et un style accessible aux consommateurs, le tout à un prix plutôt compétitif. Pour les vignerons comme pour les consommateurs, c’est une formule gagnant-gagnant.
Le fruité intense qui caractérise Marlborough s’explique en partie par un ensoleillement dans l’Hémisphère sud dont l’indice UV est supérieur de 30 à 40% (absence de nuages + couche d’ozone mince) à celui de l’Hémisphère nord. Ajoutons à cela, une brise maritime constante, générant des nuits fraîches qui maintiennent une acidité naturelle élevée : naissent alors des nectars merveilleux qui oscillent entre une dimension herbacée tendue et un caractère marqué par des fruits exotiques mûrs et intenses. Par ailleurs, un cycle végétatif particulièrement long favorise et préserve la complexité des arômes. Pour le sauvignon français, la période entre la floraison et la récolte s’étend en moyenne sur 100 jours, tandis qu’à Marlborough, elle atteint 120 voire 130 jours. Jusqu’à présent, aucun autre pays n’est parvenu à exprimer ces caractéristiques de manière aussi homogène et réussie.
La Nouvelle-Zélande a également eu de la chance avec son clone UCD1, qui représente 90% des superficies. Même si des clones plus récents (316, 317), importés de Bordeaux dans les années 1990, apportaient une bonne matière en bouche, ils n’ont jamais rivalisé avec l’UCD1 pour sa productivité modérée et son intensité variétale. Une fois intégré dans la fameuse « recette », l’UCD1 s’est exprimé d’une voix unique, créant ainsi un fil conducteur reliant les différents styles sous-régionaux terroités. Jusqu’à présent, trois styles distincts ont vu le jour à Marlborough.
Les styles sous-régionaux à Marlborough
Au point zéro, Rapaura
Les températures légèrement plus élevées à Rapaura provoquent une maturité plus précoce et une acidité plus faible. Typiquement, les vins sont très aromatiques et présentent moins de matière en bouche que ceux d’autres régions. Leur caractère plus tendre et plus mûr est perceptible. Ils se caractérisent par des notes prononcées de sueur et de fruits de la passion qui reflètent une plus grande hétérogénéité de la vendange.
Dans la partie méridionale de la Wairau Valley, les sous-régions (Brancott, Omaka, Wither Hills…) reposent sur des sols plus anciens, plus uniformes, qui mélangent des loess (des limons balayés par le vent) et de l’argile sur des dépôts glaciaires. Cette région, plus fraîche en raison de son altitude plus élevée, enregistre aussi une pluviométrie inférieure de 50% à celle de Rapaura, que viennent compenser des sols dont la capacité de rétention d’eau est bien meilleure. Cette conjonction de facteurs permet de prolonger d’une ou deux semaines le cycle végétatif du sauvignon, engendrant des arômes herbacés plus riches, plus acidulés et plus mordants, un léger gras renforçant la matière en milieu de bouche.
Plus au sud, l’Awatere Valley est plus proche et plus ouverte sur la mer, favorisant des sols de loess et d’argile avec une faible proportion de graves. Au climat plus frais, plus sec et plus venteux que Wairau, la région abrite des vignes dont les feuilles et les baies sont plus petites et dont les raisins ont la peau plus épaisse : ces caractéristiques ont pour conséquence de réduire les rendements. Les vins affichent une minéralité plus marquée et des arômes plus herbacés : ils sont mordants aux parfums d’ortie et de feuille de tomate avec plus de matière et une acidité plus élevée.
Le sauvignon aujourd’hui
En 1973, il n’existait quasiment pas de plantations de sauvignon en Nouvelle-Zélande. Trente ans plus tard, sous l’effet d’une demande insatiable, plus de 20 000 hectares ont été plantés. De manière insidieuse, la Nouvelle-Zélande a grimpé les échelons pour se rapprocher toujours plus de la suprématie de la France en matière de production de sauvignon.
Au fur et à mesure que le sauvignon a colonisé le pays, la « recette » de Marlborough n’a pas été suivie à la lettre par tous. Beaucoup de vignerons ont préféré limiter au maximum les rendements, favoriser les vendanges manuelles et intervenir moins sur le plan technique, à la fois dans le vignoble et dans la cave. La seule vérité universelle a trait au terroir : la quasi-totalité des producteurs s’orientent de plus en plus vers des styles de vins qui reflètent le sol et le climat où ils naissent.
Source : Comité de pilotage pour favoriser les échanges sur le sauvignon
Les organisateurs du Concours Mondial du Sauvignon ont mis en place un comité de pilotage composé de 8 professionnels du vin ayant des compétences rédactionnelles et une connaissance du cépage. Ils constitueront, au fil des mois, un fonds documentaire dans lequel professionnels et consommateurs pourront aller puiser pour en savoir plus sur ce cépage aujourd’hui omniprésent dans le monde, mais qui n’a sans doute pas encore révélé toutes ses qualités et ses spécificités.
Les membres du Comité de pilotage : Sharon Nagel : journaliste freelance (Royaume-Uni/France) ; David Cobbold : journaliste à Vino BFM, Les 5 du vin (Royaume-Uni/France) ; Pedro Ballesteros : Master of Wine (Espagne) ; Roberto Zironi : chercheur-professeur (Italie) ; Valérie Lavigne : chercheur-professeur (France) ; Philippo Pszczolkowski Tomaszewski : œnologue-professeur (Chili) ; Paul White : journaliste au World of Fine Wine, Decanter (Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, France) ; Roger Voss : journaliste au Wine Enthusiast.
Article du Dr Paul White, journaliste freelance basé en Nouvelle-Zélande.
www.cmsauvignon.com
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