Accueil / Portraits d’acteurs / Portrait d’acteur : Matthieu Cuvelier
Matthieu Cuvelier arrive à Bordeaux en 2001. Son père, Philippe, lui propose de s’installer dans le bordelais et de lui confier Clos Fourtet qu’il vient d’acquérir. Ancien entrepreneur du secteur de la papeterie, son choix se porte sur cette propriété emblématique de Saint-Emilion pour ce qu’il envisage comme « un « investissement de plaisir et l’occasion d’apprendre un nouveau métier », raconte aujourd’hui son fils.
Fraîchement diplômé d’une école de commerce, ignorant tout de la vigne et du métier de vigneron, Matthieu reprend ses études. Il suit une licence professionnelle de la vigne et du vin. Cette formation dirigée par Yves Glories, entre école d’ingénieur et fac d’œnologie s’accorde bien avec son « profil atypique ». Dans le même temps, il obtient un Diplôme universitaire d’aptitude à la dégustation (DUAD). Plusieurs stages en vinification dans la région, notamment pour les vins de marque du CIVB, mais aussi en Afrique du Sud, lui permettent de se familiariser avec cet exercice.
« Venus du nord de la France et d’univers totalement étrangers au vin, nous nous sommes toujours gardés de fanfaronner », souligne-t-il, alors qu’il évoque son arrivée à Fourtet après des apprentissages majoritairement théoriques. « Curieux et enthousiaste, j’ai persévéré et appris le plus gros sur le terrain, au jour le jour, auprès des équipes de la propriété ». Ainsi, c’est progressivement qu’il prend ses fonctions, se consacrant, au départ, à la partie commerciale.
Ce n’est qu’en 2005 que Matthieu Cuvelier prend véritablement la gérance du Clos. Un changement qui n’en n’est pas un puisqu’il continue de s’appuyer sur une équipe de fidèles présents sur le domaine longtemps avant son arrivée et restés à ses côtés. Son père qui l’épaule pour la gestion financière espace davantage ses visites pour ne plus venir qu’une à deux fois par mois.
En 2008, la famille s’étend du côté médocain devenant propriétaire de Château Poujeaux dont Matthieu prend également la gérance, de même que celle des deux grands crus classés de Saint-Emilion acquis en 2013 : Les Grandes Murailles et ses 2 ha jouxtant les parcelles de Clos Fourtet, ainsi que les 15 ha de Côte de Baleau.
Pourquoi Fourtet ? Pour mille et une raisons. « Mais il est certain que dans le choix familial, l’emplacement exceptionnel du vignoble aux portes du village, a fortement pesé » se souvient-il. A l’ouest, les vignes du Clos sont les plus proches de Saint-Emilion. Une situation due au rôle défensif qu’a longtemps tenu cet ancien camp fort. Autre particularité tout aussi séduisante, les 20 ha de vignoble entièrement ceints de murs. « C’est tout à la fois rare, esthétique et source d’un travail toujours recommencé… retapée d’un côté, c’est une autre partie de l’enceinte qui cède et ainsi de suite. »
Implantées sur le plateau calcaire des grands terroirs de l’appellation et situées à 90 m de hauteur, les vignes jouissent d’une situation exceptionnelle. Au sommet de la butte calcaire, l’épaisseur de roche est particulièrement importante à l’inverse de celle des sols, qui dépasse à peine un mètre. « Pour nous qui cherchons à produire peu mais très bien, c’est unique et précieux en termes d’équilibre. » L’effet de pente, à Clos Fourtet, vient renforcer le drainage naturel qu’offre le calcaire. Sud, ouest et nord, des différentes expositions des coteaux découlent diverses subtilités de terroirs. Cépage roi, emblématique de Saint-Emilion et de la rive droite, à Fourtet, le merlot constitue 85% du vignoble.
Exceptionnels également, les trois niveaux de cave, creusés dans la roche sous le domaine et qui s’étendent sur 13 ha. D’autres existent dans l’appellation, mais rares sont celles profitant d’une ventilation et d’une hygrométrie aussi propices. Température constante oscillant entre 12°C l’hiver et 14°C l’été et ventilation naturelle font qu’ici la part des anges est bien inférieure à celles des chais traditionnels. Un hectare suffit à l’élevage des vins et au stockage des bouteilles. « C’est tout à la fois optimum, pratique et très beau ! »
« Notre objectif a toujours été de faire meilleur. A notre arrivée, nous avons investi dans le vignoble et la cuverie, » explique Matthieu. Premier grand cru depuis la création du classement en 1955, Clos Fourtet s’est toujours maintenu. L’empreinte familiale se lit dans une volonté de se concentrer sur la qualité sans pousser à la productivité pour donner une plus grande concentration aux vins. Sur un grand terroir identitaire l’ouvrage est délicat et ne peut consister à imprimer un style au vin, ni même à initier un changement. Le style est propre à Fourtet. « Notre intervention se limite aux choix effectués pour permettre aux équipes d’exprimer au mieux ce grand terroir calcaire, » ajoute-t-il.
Dès le départ, Matthieu et Philippe Cuvelier s’entourent de Stéphane Derenoncourt et Jean-Claude Berrouet pensant que mêler deux approches et philosophies si différentes serait gage de succès. « Novices, nous n’étions pas à même de trancher. Les savoir d’accord sur un point nous donnait une certitude quant aux résultats, » s’amuse Matthieu évoquant le tandem qui veille sur le Clos depuis 2001.
La conduite du vignoble a évolué. Dès 2001, Tony Ballu, alors directeur technique, s’investit vers la conduite en bio et en biodynamie. « Sans avoir la certification, nous sommes très sensibles à ces questions et nous nous efforçons de limiter autant que possible les traitements. » Sur les dix derniers millésimes, plus de la moitié ont été conduits sans chimie qui se limite alors à un ou deux traitements par an. L’évolution s’est faite par étapes. Débutant les tests sur trois parcelles, la conduite naturelle est ensuite étendue progressivement au reste du vignoble.
L’apprentissage se fait au fur et à mesure, avec prudence, et ne va pas sans obstacle, avec comme en 2018, une perte de 60% de la récolte. Cependant, la tendance est ancrée et porte ses fruits avec « des sols plus vivants, fleuris et porteurs de plus de biodiversité » se réjouit Matthieu, avant d’ajouter que « si, la certification n’est pas à l’ordre du jour, elle viendra certainement un jour puisqu’elle va dans le sens du travail effectué et que nous n’en sommes pas loin. »
Les Cuvelier fêtent cette année les 20 ans de l’arrivée de la famille à Clos Fourtet et souhaitent que la situation sanitaire permette de célébrer ce bel anniversaire.
Bravo pour cet article. Je réalise que je n’ai jamais visité le sous-sol. J’espère rattraper cela en 2021.