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Paroles d’acteurs : Stéphanie Marchand et Julien Belle

Stéphanie Marchand, professeur à l’Institut de la vigne et du vin, et Julien Belle, œnologue-consultant chez Œnoteam, s’interrogent sur l’engouement pour les vins blancs, et la capacité de Bordeaux à y répondre. L’article complet est à retrouver dans la Lettre des Éditions Féret.

 

 

Vous qui dégustez beaucoup, quel portrait chinois feriez-vous des blancs de Bordeaux ?

 

SM : Malheureusement, parmi les vins blancs abordables, bon nombre d’entre eux sont très marqués par des caractères salins, simples, végétaux. Cela donne des vins coincés entre les huîtres et le poisson alors que le Sauvignon blanc est un beau cépage capable de bien plus de complexité et d’accompagner un repas entier. Pour ma part, je privilégie des blancs plus opulents, mûrs et complexes avec plusieurs identités aromatiques qui se révèlent au fil de la dégustation. Je recherche de la structure et je ne veux en aucun cas boire de l’eau quand je bois du vin. Le Sauvignon doit être mûr, avec une structure travaillée. C’est un point sur lequel on Julien et moi sommes totalement d’accord et c’est la raison pour laquelle j’aime les vins qu’il fait. Peut-être aussi parce que j’ai beaucoup dégusté avec lui. Cela dit, lorsque je vais en Champagne, je sélectionne également des vins structurés et tapissants avec de longs élevages sur lie. Quoi qu’il en soit, il y a, selon moi, une vraie place pour ce type de blanc à Bordeaux. Encore faut-il s’en donner la peine et les travailler avec soin et précision..

 

 

Pour revenir à la question du consommateur et de son attente, n’y a-t-il pas un malentendu ? Est-ce qu’on attend de Bordeaux des blancs opulents ?

 

SM : Je ne suis pas spécialiste de la question des consommateurs mais c’est possible ! Je suis convaincue également que les vins blancs de gastronomie sont maltraités à Bordeaux : bus sur un coin de table, ils n’ont souvent même pas la chance de rencontrer une volaille à la crème ou un fromage. Les vins blancs de Bordeaux ont toute leur place dans un repas et pas juste à l’apéritif ! Ce qui est certain, c’est que la consommation de vin tend à diminuer et que les bouteilles de 75 cl sont la norme. Dans ce contexte, faisons en sorte que le vin choisi pour accompagner tout le repas soit un des nôtres ! L’idée de diminuer le volume des bouteilles pourrait aussi être plus largement explorée mais c’est un autre débat.

 

JB : J’ajouterais que, globalement, les moments réservés aux différents vins à Bordeaux, notamment pendant les repas, sont souvent cadenassés ! Ici, on a du mal à rompre avec les habitudes et les traditions, ce qui ne permet pas de réinterpréter les vins et en particulier, les blancs. On n’ose pas bouger les lignes.

 

SM : Pour revenir au style des blancs de Bordeaux, on a longtemps cherché en faire plus autour du Sauvignon en particulier : toujours plus thiolé, toujours plus variétal pour au final, aboutir à un style assez univoque. Gilles de Revel me rappelle souvent que « le mieux et l’ennemi du bien » et cela s’applique parfaitement à cette interprétation du Sauvignon ! L’avantage, c’est qu’il est maintenant facile de définir la « typicité » de ces vins et qu’il existe une réelle identité. Mais, en même temps, les vins doivent être une interprétation actuelle de cette identité.

 

JB : Le revers de cette tendance de fond autour du Sauvignon blanc, c’est qu’elle a engendré un Sauvignon bashing poussant bon nombre d’entre nous à le condamner ! Attention à ne pas dénigrer le cépage mais bien son interprétation ! Plutôt que d’aller chercher fortune ailleurs avec d’autres cépages, de s’émanciper du Sauvignon, il me semble qu’il nous faut protéger un cépage qui a fait ses preuves par le passé. Regardons ce que la Touraine fait : elle n’est pas prête à l’abandonner, bien au contraire, elle le réinterprète à loisir, tout comme le fait Sancerre. Le vin d’auteur, que je promeus fortement, reste un vin de civilisation, de géographie, de territoire et il me semble que Bordeaux commettrait une erreur en tournant le dos à ce cépage d’autant plus que les visiteurs ne viennent pas chercher du Chenin à Bordeaux. Tout comme le Sémillon, le Sauvignon peut être ramassé à un autre moment.

 

SM: Tu as raison d’évoquer ce cépage! On oublie trop souvent que nous avons d’autres très beaux cépages à Bordeaux avec le Sémillon, le Sauvignon gris ou encore la Muscadelle.

 

 

 

Plus globalement, le blanc redevient tendance pour quelle raison ?

 

SM : Je dirais qu’il revient parce qu’il est fondamentalement plus accessible. Souvent les jeunes découvrent le monde du vin par le biais du vin blanc, où qu’ils soient ! Les Pays de Loire ont largement contribué à ce retour en grâce avec de beaux vins qui avaient toute leur place à table, avec une ossature forte..

 

 

 

N’est-ce pas aussi dû aux taux d’alcool plus bas, à l’absence de tanins ?

 

JB : Oui, on trouve plus de blancs avec des taux d’alcools raisonnables. Il est exact que le tanin — que j’ai moi-même mis du temps à interpréter — peut mettre le consommateur à distance en brouillant par exemple la perception du terroir, des sols, des cépages ou de la vinification. Si je présente un vin en disant « Ceci est un Cabernet Sauvignon ou un Merlot issu d’argilo-calcaire », je constate qu’un consommateur concentré sur les tanins passe à côté de mon message. Ce problème se pose moins sur les blancs.

 

SM : Oui, c’est comme pour le chocolat ; lorsqu’il est au lait, il est pour les enfants et noir, il est pour les adultes (rire). Ce sont d’ailleurs les mêmes familles de molécules, les polyphénols. Il y a aussi une raison technique ou chimique à cet engouement pour les blancs dans la mesure où pendant longtemps, nous avons dû lutter contre l’oxydation prématurée des blancs. Mais en avançant sur ce sujet, on se rend compte qu’il y en a de moins en moins. Ici, c’est le travail de mes collègues chercheurs que je dois saluer. Aujourd’hui, la question du « prémox » a largement reculé.

 

 

‍Pouvons-nous en revanche copier la Loire ?

 

JB : Il existe une forme de parenté avec les vins d’Anjou par exemple. Notre Sémillon a quelque ressemblance, toute proportion gardée, avec leur Chenin sans parler du Sauvignon blanc rencontré à Sancerre ou à Chenonceau. Il nous faut leur emprunter la notion de vins d’auteur, qui manque aujourd’hui à Bordeaux : développer les clos, revoir les rendements, élever les jus dans des contenants ne dépassant pas les 20 hl, ne serait-ce que pour la gestion des lies, l’oxydo-réduction, etc. et pour in fine préserver la fraîcheur, j’y reviens encore !

 

SM : Comme en Champagne où le travail des lies est favorisé par des contenants adaptés. Riches en acides aminés, ces lies constituent des précurseurs d’arôme incroyables. Tout cela exige du temps et du travail sinon l’extraction des lies ne se fera pas correctement.

 

 

J’aimerais aborder avec vous la question des vins non millésimés, un de vos dadas.

 

JB : Je pense qu’il nous faut intégrer un peu de R&D et d’audace ce qui irait d’autant plus dans le sens des AOP et de la défense des signatures de territoire. Je crois effectivement que la notion de solera ou de vin non millésimé pourrait répondre à quelques attentes pour les blancs ou les rouges. C’est avant tout une solution qui permettrait d’être plus transparent vis-à-vis du consommateur. Par exemple, pour acidifier un millésime, on pourrait aller chercher un autre millésime plus acide sans rajouter de la poudre de perlimpinpin ! Le vigneron pourrait ainsi réduire ses coûts de production et in fine les prix de ses vins. En procédant ainsi, on conserve la notion de terroir dans la mesure où les différents millésimes qui rentrent dans le vin proviennent d’une même parcelle, d’un même clos. C’est une des solutions technico-commerciales de demain pour la filière bordelaise.

 

SM : J’ajoute que c’est un des atouts de la Champagne. Les vins de réserve qui sont obligatoires dans l’assemblage, permettent de lisser les effets millésimes, d’apporter de la complexité et de construire une identité. Cette solution a aussi été apportée pour contrecarrer les aléas climatiques. Or, nous avons aujourd’hui une récurrence inquiétante de millésimes « difficiles ». En outre, pour la petite histoire, les assemblages de vins de réserve sont souvent délicieux et trouvent toute leur place au cœur du repas.

 

JB : On digresse un peu mais cet attachement au millésime à Bordeaux résulte d’une demande de la critique et des professionnels. Il me semble qu’aujourd’hui le consommateur achète d’abord un cru avant d’acheter un millésime.

 

SM : Je te rejoins là-dessus : une étude a démontré que le lieu est plus important dans l’identité d’un vin que son interprétation au travers du millésime. Le millésime reste un effet modulant du terroir. Ce qui est permis par le vinificateur qui accompagne et n’est en aucun cas sur le devant de la scène.

 

 

 

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Maison Féret

 

Fondée en 1812 par Jean-Baptiste Féret à Bordeaux, la maison Féret est l’une des plus anciennes maisons d’édition spécialisées dans le domaine du vin en France. Après l’emblématique Bordeaux et ses Vins, dont la première édition date de 1850, Féret publia également en 1889 un annuaire des Personnalités et Notables Girondins. Ce dernier devait constituer le premier
tome d’un corpus consacré aux acteurs qui comptaient dans le département girondin.

 

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CecileCazaux

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