Il y a quelques années, un petit groupe d’entreprises vinicoles néo-zélandaises a eu une révélation. Sous l’impulsion de John Forrest de Forrest Wines, ils ont pris la décision alors inédite d’explorer les moyens de réduire la teneur en alcool de leurs vins. Dix-huit entreprises* se sont associées aux pouvoirs publics en 2014 pour contribuer 17 millions de NZD (10 millions d’euros) sur sept ans au financement du programme NZ Lighter Wines, la plus grande initiative de recherche et de développement jamais entreprise par la filière viticole du pays. Sa mission ? Positionner la Nouvelle-Zélande comme le premier pays producteur mondial de vins avec une teneur en alcool inférieure à 10 %. Et surtout, fait unique, y parvenir de façon naturelle. Les recherches s’articulent principalement autour des travaux en vert, de la sélection de terroirs adéquats et de l’utilisation de souches de levures spécifiques, mais la boîte à outils est bien fournie et les expérimentations toujours en cours. L’image de la Nouvelle-Zélande comme pays producteur “vert”, à l’origine de sauvignons blancs parmi les meilleurs au monde, est en jeu. La qualité des vins doit être comparable à celle des cuvées classiques, et la typicité caractéristique du sauvignon de Marlborough doit être préservée pour inciter les consommateurs à privilégier des vins titrant 9,5 ou même 9% au lieu des 12,5/13% habituels.
Le Dr John Forrest, chercheur en médecine, a été l’initiateur de cette démarche. Sans qu’il n’y ait encore d’incitation commerciale, il s’est mis à expérimenter puis à élaborer du sauvignon blanc à faible teneur en alcool. « Il y a cinq ans, nous disposions des outils technologiques, mais n’avions pas de clients en face » reconnaît-il. Il en fallait bien plus pour le décourager, tant il était persuadé que la catégorie avait un bel avenir commercial devant elle. Cela, avant même que le changement climatique ne suscite de prise de conscience quant à la nécessité de réduire les teneurs en alcool dans les vins. Ses premières tentatives n’ont pas été couronnées de succès : « Les deux premières années ont été gaspillées et les vins ont perdu de la saveur ». Puis, il a commencé à étudier de plus près la vigne elle-même. « Le couvert végétal typique à Marlborough a une hauteur de 15 feuilles, à un mètre du sol avec quatre sarments. On pouvait imaginer que les feuilles étaient différentes du point de vue biochimique, au vu des différentes couleurs de feuilles ». Avec son équipe, il a enlevé certaines feuilles pour voir la manière dont elles influaient sur les paramètres de maturation. Il s’est rapidement rendu compte que le taux d’accumulation de sucre pouvait être ajusté en enlevant des feuilles à des moments prédéterminés, sans pour autant altérer de manière sensible le goût et la maturité phénolique. La typicité du sauvignon de Marlborough et son fruité étaient intacts. Qui plus est, les vins ont affiché une plus grande capacité de garde que leurs homologues classiques !
D’autres expérimentations ont amené John Forrest à déplacer le feuillage jusqu’au fil supérieur du palissage avec trois sarments tout en laissant plus de la moitié des raisins à l’ombre pour favoriser le développement d’arômes plus délicats. La durée de maturation ne change pas – 60 jours – et l’alternance entre journées chaudes et nuits fraîches est tout aussi essentielle que pour des vins élaborés de manière conventionnelle. Lorsque toutes les conditions sont réunies, les modifications apportées à la gestion du couvert peuvent contribuer à faire diminuer de 40 % la teneur en sucre et en alcool. La réussite du projet chez Forrest Wines est telle que l’ensemble de son modèle d’entreprise a dû évoluer pour prendre en compte la part des vins allégés en alcool, qui représentent désormais 60 % de sa gamme. « Le développement commercial est à attribuer aux magasins alimentaires de haut de gamme à travers le monde, où il y a un créneau pour des produits bien-être », explique-t-il. … La Nouvelle-Zélande compte désormais une gamme de 50 références, soit deux fois plus qu’il y a trois ans. Parmi elles figure la marque Stoneleigh de Pernod Ricard, qui coiffe au poteau toutes les autres références de sauvignon blanc en Nouvelle-Zélande. Son sauvignon allégé en alcool se classe dans le top 100 des ventes sur le marché néo-zélandais, parmi les 5 000 références commercialisées au total. Au niveau national, les vins allégés en alcool représentent désormais 7 % de l’ensemble des ventes de sauvignon blanc.
La validation qualitative de la catégorie passe obligatoirement par la dégustation (de préférence à l’aveugle) et les NZ Lighter Wines sont volontairement inscrits dans des concours généralistes pour mesurer leur niveau qualitatif par rapport aux cuvées classiques. C’est ainsi que la maison Stoneleigh a remporté une médaille d’or pour son vin allégé en alcool, à comparer à la médaille d’argent attribuée à son pendant classique. … La formulation des mentions sur l’étiquetage, qui reflète les techniques employées, s’avère également capitale et sert à rassurer à la fois consommateurs et acheteurs. « Dans les essais que nous avons menés, le terme « naturellement plus faible en alcool » a le plus séduit les consommateurs et « désalcoolisé » le moins », ajoute Richard Lee. L’acheteuse vin de Waitrose, Alexandra Mawson, valide ces résultats : « En tant qu’acheteuse, je veux être rassurée sur la manière dont la teneur en alcool a été abaissée. Les techniques artificielles ne m’intéressent pas », affirme-t-elle, tout en ajoutant que les consommateurs n’apprécient pas non plus le sucre résiduel. … Pour John Forrest, qui envisage maintenant de s’orienter vers des boissons titrant 0 %, il est essentiel de mettre l’art de vivre au cœur de l’image qu’on veut projeter : « Il faut présenter sa marque comme un choix de vie saine », ajoute-t-il.
Au moment où la déferlante bien-être, santé et modération poursuit sa dynamique, entraînant dans son sillage toute une panoplie de vins allégés en alcool créatrice d’un cercle vertueux d’offre et de demande, le programme NZ Lighter Wines devrait continuer à gagner du terrain. « D’après les prévisions des principales parties prenantes du projet, environ 10 % de leur gamme actuelle devrait être allégé en alcool d’ici le milieu des années 2020, ce qui en dit long sur le niveau de confiance dont ils témoignent quant au potentiel du marché », affirme le Dr David Jordan, directeur du programme et conseiller technique. « 45% des consommateurs de vin premium sont susceptibles d’acheter des vins allégés en alcool, à condition qu’ils retrouvent un profil gustatif semblable à celui du vin qu’ils ont l’habitude de consommer. Les amateurs de sauvignon blanc sont encore plus enclins à opérer la transition que les autres consommateurs », ajoute Richard Lee. Les hauts dirigeants du secteur brassicole affirment que d’ici 2025, les bières allégées en alcool ou sans alcool représenteront 20 % des ventes mondiales de la catégorie. La période est donc particulièrement propice pour que le secteur du vin s’engouffre dans la brèche. « Nous avons le sentiment d’être sur le point d’écrire un nouveau chapitre dans l’histoire future du vin », conclut Richard Lee. Vu le nombre d’indicateurs sociaux et économiques actuellement au vert, on aurait du mal à ne pas partager son avis.
Source : Comité Sauvignon
Les organisateurs du Concours Mondial du Sauvignon ont mis en place un comité de pilotage composé de 8 professionnels du vin ayant des compétences rédactionnelles et une connaissance du cépage. Ils constitueront, au fil des mois, un fonds documentaire dans lequel professionnels et consommateurs pourront aller puiser pour en savoir plus sur ce cépage aujourd’hui omniprésent dans le monde, mais qui n’a sans doute pas encore révélé toutes ses qualités et ses spécificités.
Les membres du Comité de pilotage : Pedro Ballesteros : Master of Wine (Espagne) ; David Cobbold : journaliste à Vino BFM, Les 5 du vin (Royaume-Uni/France) ; Carien Coetzee : Basic Wine, Sauvignon Blanc South Africa ; Valérie Lavigne : chercheur-professeur (France) ; Sharon Nagel : journaliste freelance (Royaume-Uni/France) ; Deborah Parker Wong : SOMM Journal et The Tasting Panel (USA) ; Maurizio Valeriani : www.vinodabere.it (Italie,) ; Paul White : journaliste au World of Fine Wine, Decanter (Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, France) et Frédéric Galtier : consultant Desembolic (Espagne).
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