Accueil / Dossiers / Le sauvignon blanc pourrait-il ouvrir la voie au développement mondial des vins allégés en alcool ?
En 2014, le secteur vitivinicole néo-zélandais s’est donné pour ambition de devenir le numéro un mondial des vins allégés en alcool dans le segment premium.
Avec 60 % de son vignoble planté en sauvignon blanc pour près de 20 % de l’ensemble des superficies mondiales du cépage, ce projet néo-zélandais a le potentiel de changer la donne pour la catégorie dans sa globalité. Sharon Nagel fait le point sur les progrès réalisés jusqu’à présent.
Le projet, intitulé « Lighter Wines », s’étend sur sept ans et représente la plus grande initiative de recherche et de développement jamais entreprise par le secteur vitivinicole néo-zélandais. Dix-huit entreprises de premier plan y participent* et financent en partie les 17 millions de NZD (10 millions d’euros) requis, en collaboration avec le ministère de l’Agriculture. Le projet vise à positionner la Nouvelle-Zélande comme premier pays producteur mondial de vins d’une teneur en alcool inférieure à 10 %, sur le marché intérieur et en particulier à l’international. A horizon 2024, un objectif de 285 millions de NZD (près de 170 millions d’euros) a été fixé pour les retombées économiques du programme. Ce qui singularise ce projet par rapport à des programmes existants, c’est que la teneur en alcool doit être naturellement abaissée pour correspondre à l’image « verte » projetée par la Nouvelle-Zélande. Les recherches se concentrent donc principalement sur la conduite du vignoble, notamment les travaux en vert, et sur l’utilisation de levures indigènes ou de souches adaptées à l’objectif, même si de nombreuses pistes sont explorées. Au fil des ans, la Nouvelle-Zélande s’est forgé une solide réputation de pays producteur de vins très qualitatifs à un positionnement prix élevé, avec comme fer de lance le sauvignon blanc, et le programme « Lighter Wines » devra veiller à ce que ce positionnement soit maintenu. En tant qu’organisation professionnelle, New Zealand Wine Growers le reconnaît : « L’obtention de saveurs et d’autres qualités sensorielles dans les vins à faible teneur en alcool, susceptibles d’être positionnés sur le segment haut de gamme des marchés national et mondial, se trouve au cœur du programme. Il a été confirmé que la conjugaison de vins naturellement moins alcoolisés, d’un niveau qualitatif élevé et d’un profil gustatif au moins aussi qualitatif que les vins conventionnels constitue un pré-requis fondamental ».
Les travaux en vert un élément clé à la vigne
Soixante-dix-sept pour cent des participants ont désormais adopté les techniques qui ont fait l’objet de recherches à la vigne et 46 % les ont mises en œuvre en cave. « Les pratiques se sont généralisées parmi de nombreuses entreprises au profil différent. L’adoption englobe aussi bien de grands acteurs dont l’envergure, l’infrastructure et la souplesse leur permettent d’effectuer des travaux de recherche et de développement dans ce domaine, que de petites maisons qui portent haut et fort le projet », a déclaré Helen Morrison, maître de chai à Marlborough auprès de la société Villa Maria. Nommé pour la quatrième année consécutive N°1 néo-zélandais parmi les marques de vin les plus admirées au monde, Villa Maria a déjà lancé un sauvignon blanc allégé en alcool, aux côtés d’un rosé et d’un pinot gris. Parmi les techniques utilisées pour obtenir ces vins figurent les travaux en vert : « Villa Maria se penche sur les travaux en vert où le couvert végétal est réduit en le coupant en deux, manipulant la façon dont la vigne se développe. Nous pensons pouvoir permettre à la maturité phénolique et aromatique de se poursuivre tout en ralentissant la vitesse à laquelle les sucres se développent, créant ainsi des baies avec des saveurs plus mûres à des niveaux de sucre plus faibles », a expliqué Helen Morrison. La complexité des cycles végétatifs et fruitiers ainsi que les conditions météorologiques changeantes tout au long de l’année font qu’il est « très difficile d’identifier un élément parmi les travaux en vert comme étant susceptible de produire un résultat spécifique », a-t-elle ajouté.
Différentes techniques en cave
Au Brancott Estate appartenant à Pernod Ricard, le maître de chais Patrick Materman indique que des changements dans la conduite du vignoble ont également été mis en œuvre. « Nous avons manipulé le couvert végétal, réduisant sa hauteur de manière à retarder l’accumulation de sucres et à favoriser une plus grande maturité physiologique au moment de la récolte ». Le choix de la parcelle constitue également un élément clé pour l’entreprise française : « Nous privilégions les parcelles qui présentent un profil gustatif mûr à des niveaux de sucres plus faibles dans les baies ». Tant chez Pernod Ricard qu’à Villa Maria, une gamme de techniques est également expérimentée en cave. « Nous avons adopté des souches de levure qui réduisent l’acidité naturelle élevée des raisins récoltés tôt », explique Patrick Materman, par ailleurs président de Sauvignon 2019, la fête internationale du sauvignon blanc qui aura lieu du 28 au 30 janvier prochain. « La fermentation est arrêtée pour laisser un peu de sucre résiduel et augmenter ainsi la matière. Mais le sucre résiduel est compensé par l’acidité naturelle et des niveaux de CO2 dissous légèrement plus élevés à la mise en bouteille, donnant la sensation d’un profil sec ». Chez Villa Maria, les expériences impliquent des techniques telles que « la macération et les mannoprotéines pour développer la matière », a indiqué Helen Morrison. « Cette année, nous avons mis de côté trois petites cuves pour tester une levure qui retarde le début de la fermentation, ce qui nous permet potentiellement d’extraire davantage de précurseurs d’arômes à partir des lies avant le soutirage et la fermentation alcoolique ».
Les levures constituent un élément clé
Le programme n’en est qu’à sa cinquième année, et compte tenu de sa complexité et du niveau élevé des attentes, la recherche et le développement sont toujours en cours. D’ores et déjà, Villa Maria a renoncé à certaines techniques testées au départ. « Nous avons « abandonné » certains types de sols, c’est-à-dire les sols plus légers, plus pierreux, qui ne semblent pas propices aux vins allégés en alcool. Les vins sont trop minces et la minéralité et notes de silex générées par ce type de sol sont masquées par une acidité élevée à des niveaux prix faibles ». Les souches de levure se sont montrées capitales pour obtenir les résultats recherchés : « Les levures devraient potentiellement jouer un rôle de premier plan dans la production de vins à faible teneur en alcool. Les souches entraînant une baisse des taux de conversion des sucres en alcool peuvent être affinées davantage, tout en favorisant l’expression des arômes et en développant la matière en bouche », a ajouté Helen Morrison. Le programme a pour mission de produire des vins titrant moins de 10 %. A Villa Maria, la teneur en alcool idéale, tant du point de vue de la vinification que du point de vue du consommateur, semble se situer autour de 10% : « En termes de vinification, 10% semble susceptible de donner un vin équilibré mais savoureux ». Pour Patrick Materman, ce niveau serait légèrement en-dessous : « Du point de vue de la vinification, 9 à 9,5 % semble être de nature à favoriser le plaisir de la dégustation – la teneur en alcool est réduite de manière significative mais le niveau qualitatif élevé est maintenu de même que la perception de la maturité ».
Comparaison favorable avec les profils classiques
Au fur et à mesure que les résultats de la recherche entraînent des modifications à la vigne et en cave, les consommateurs semblent être, de leur côté, de plus en plus prêts à adopter la catégorie des vins à faible teneur en alcool. « L’attrait des vins allégés en alcool ou sans alcool correspond à l’engouement des consommateurs en faveur de produits plus « naturels ». En effet, les possibilités offertes aux vins naturellement plus faibles en alcool s’avèrent plus importantes que ceux dont la réduction en alcool se fait par des méthodes mécaniques », affirme un rapport de Wine Intelligence publié le mois dernier. The IWSR a également indiqué que les vins à faible teneur en alcool « gagnent du terrain, en partie pour lutter contre les frontières mouvantes entre les différentes catégories – la tendance des consommateurs à alterner entre bière, cidre et vin – et en partie en réponse à des préoccupations toujours plus élevées quant à la santé ». Le principal obstacle à l’acceptation des consommateurs jusqu’à présent – à savoir un profil aromatique qui ne correspond pas aux attentes – est potentiellement en passe d’être surmonté par le programme Lighter Wines néo-zélandais. Le mois dernier, le distributeur britannique Marks and Spencer a référencé deux vins issus du programme, élaborés par Forrest Wines à Marlborough, dont un sauvignon blanc positionné à 10,99 £ (12,5 euros). Comme le souligne Patrick Materman, « les vins à faible teneur en alcool se voient régulièrement décerner des médailles dans les mêmes catégories que leurs équivalents conventionnels – preuve, s’il en fallait, que la qualité n’est pas compromise ». Helen Morrison se montre plus mesurée dans son jugement : « L’évolution des vins à faible teneur en alcool, comme tout autre style de vin, s’inscrira dans le cadre d’un processus de longue haleine. Il s’agira de tester les hypothèses, les nouveaux auxiliaires technologiques, techniques de vinification et technologies pour identifier les outils les mieux adaptés à l’élaboration de vins qualitatifs à faible teneur en alcool ». Elle admet toutefois que cette année, « les vins se présentaient bien tout au long du processus de fermentation ».
Source : Sharon Nagel pour le Comité de pilotage pour favoriser les échanges sur le sauvignon
Les organisateurs du Concours Mondial du Sauvignon ont mis en place un comité de pilotage composé de 8 professionnels du vin ayant des compétences rédactionnelles et une connaissance du cépage. Ils constitueront, au fil des mois, un fonds documentaire dans lequel professionnels et consommateurs pourront aller puiser pour en savoir plus sur ce cépage aujourd’hui omniprésent dans le monde, mais qui n’a sans doute pas encore révélé toutes ses qualités et ses spécificités.
Les membres du Comité de pilotage : Sharon Nagel : journaliste freelance (Royaume-Uni/France) ; David Cobbold : journaliste à Vino BFM, Les 5 du vin (Royaume-Uni/France) ; Pedro Ballesteros : Master of Wine (Espagne) ; Roberto Zironi : chercheur-professeur (Italie) ; Valérie Lavigne : chercheur-professeur (France) ; Philippo Pszczolkowski Tomaszewski : œnologue-professeur (Chili) ; Paul White : journaliste au World of Fine Wine, Decanter (Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, France) ; Christian Eedes : rédacteur en chef du WineMag.
www.cmsauvignon.com – Prochaine édition 8 au 10 mars 2019 à Udine (Italie)
* Accolade Wines NZ Ltd; Allan Scott Wines and Estate; Constellation Brands; Forrest Estate Wines; Giesen Wine Estate Canterbury; Indevin Limited; Kono NZ LP; Lawson’s Dry Hills Ltd; Marisco Vineyards; Mount Riley Wines; Mt Diffculty Wines Ltd; Pernod Ricard New Zealand Ltd; Runner Duck Estate Ltd, Matakana; Spy Valley Johnson Estate; Villa Maria; Whitehaven Wine Company Limited; Wither Hills – Lion; Yealands
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