Le vieillissement du sauvignon sous bois a longtemps été un casse tête. Valérie Lavigne, chargée de recherches auprès de la tonnellerie Seguin Moreau détachée à l’I.S.V.V ., explique comment le bois peut être utilisé de façon judicieuse.
Si certains cépages blancs, comme le chardonnay ou le sémillon, s’accommodent particulièrement bien d’un élevage en barriques, d’autres, à l’arôme plus fragile, peuvent voir leur typicité dépréciée par un élevage en fûts mal adapté. L’arôme des vins blancs de sauvignon est ainsi particulièrement sensible aux modalités de l’élevage. Les composés responsables de l’arôme caractéristique de ce cépage sont des thiols volatils, molécules extrêmement réactives vis-à-vis de l’oxygène. L’utilisation excessive du bois dans l’élevage de ce type de vin et plus encore de bois neuf, peut parfois conduire à une perte significative de leur typicité aromatique, à une érosion de leur potentiel de garde et favoriser ainsi, malgré la présence des lies, le vieillissement prématuré de leur arôme. L’utilisation du bois au cours de l’élevage des vins blancs secs permet pourtant, au-delà d’un apport aromatique et gustatif, qui, bien dosé, peut ajouter à la complexité du vin, d’éviter le développement d’odeurs de réduction, risque majeur associé à un élevage sur lies totales lorsqu’il est pratiqué en cuve.
Des différences significatives selon les contenants
Afin de valider cette hypothèse, nous avons comparé l’évolution aromatique d’un même vin de sauvignon vinifié puis élevé en cuve inox, en barrique neuve, en barrique de 2 vins, ou dans une cuve bois tronconique de 50 hl. Nous avons pour cela analysé en fin d’élevage les thiols volatils, marqueurs de l’arôme des vins de sauvignon et les composés cédés par le bois. Nous avons également réalisé une dégustation comparative de ces différentes modalités d’élevage. Il était demandé aux dégustateurs de classer ces échantillons selon deux critères ; l’intensité de l’arôme caractéristique des vins de sauvignon (typicité) d’une part, puis l’intensité de l’arôme boisé. Les dégustateurs devaient ensuite classer les différents vins par ordre de préférence.Les résultats de cette expérimentation montrent clairement que l’intensité du caractère fruité d’un même vin de sauvignon élevé en cuve inox ou cuve bois tronconique n’est pas significativement différente. L’apport d’oxygène, très modéré dans un grand contenant de bois, ne semble donc pas altérer l’arôme fruité du vin jeune. En revanche, l’intensité du caractère fruité perçu dans les vins élevés en barriques et particulièrement en barriques neuves est clairement atténué.
Il apparaît également que le caractère boisé conféré au vin lors d’un élevage dans du bois est toujours significativement plus faible et mieux intégré dans le vin élevé en foudre neuf que dans une barrique neuve ou même usagée. Ce résultat n’est pas surprenant puisque dans une barrique de 225L, la surface de bois en contact avec le vin est beaucoup plus importante que dans un foudre. Il semble ainsi que le foudre, même neuf, libère moins de composés volatils que des barriques neuves ou de deux vins.
Préserver le fruité intrinsèque des vins
Enfin, l’interprétation statistique des résultats de la dégustation, montrent, sur le critère de la typicité du cépage, que le vin élaboré en barriques neuves est jugé le moins fruité. Les barriques de deux vins et la cuve inox occupent une position intermédiaire. La cuve bois est jugée plus typée. Si l’on considère maintenant le caractère boisé, la cuve inox est bien évidemment jugée la moins boisée. Les vins conservés en barriques neuves apparaissent nettement boisés, alors que la modalité en foudre neuf est jugée significativement moins boisée que celle en barriques de deux vins. La préférence des dégustateurs est attribuée au vin élevé en foudre neuf de 50 hl ; les barriques usagées et la cuve inox occupent une position intermédiaire et ne sont pas distinguées par les dégustateurs. Le vin élevé en barrique neuve est quant à lui systématiquement classé en dernière position par l’ensemble des dégustateurs.
Comment préserver le fruit caractéristique du sauvignon élevé sous bois ?
Il apparaît ainsi clairement que le caractère boisé, lorsqu’il est trop intense, déprécie l’arôme du sauvignon. L’utilisation de grands contenants de bois pour l’élaboration des vins blancs de sauvignon s’avère une alternative extrêmement intéressante à la barrique. Elle permet de préserver le fruit caractéristique du cépage, de limiter le caractère boisé parfois envahissant pour ce cépage aromatique tout en maintenant le vin dans un équilibre d’oxydo-réduction propice à préserver son aptitude au vieillissement sans altérer sa personnalité.
Source : Valérie Lavigne pour le Comité de pilotage pour favoriser les échanges sur le sauvignon
Les organisateurs du Concours Mondial du Sauvignon ont mis en place un comité de pilotage composé de 8 professionnels du vin ayant des compétences rédactionnelles et une connaissance du cépage. Ils constitueront, au fil des mois, un fonds documentaire dans lequel professionnels et consommateurs pourront aller puiser pour en savoir plus sur ce cépage aujourd’hui omniprésent dans le monde, mais qui n’a sans doute pas encore révélé toutes ses qualités et ses spécificités.
Les membres du Comité de pilotage : Sharon Nagel : journaliste freelance (Royaume-Uni/France) ; David Cobbold : journaliste à Vino BFM, Les 5 du vin (Royaume-Uni/France) ; Pedro Ballesteros : Master of Wine (Espagne) ; Roberto Zironi : chercheur-professeur (Italie) ; Valérie Lavigne : chercheur-professeur (France) ; Philippo Pszczolkowski Tomaszewski : œnologue-professeur (Chili) ; Paul White : journaliste au World of Fine Wine, Decanter (Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, France) ; Christian Eedes : rédacteur en chef du WineMag.
www.cmsauvignon.com – Prochaine édition 8 au 10 mars 2019 à Udine (Italie)
Je trouve curieux que l’on ne fasse pas intervenir un élément fondamental de l’elevage En barrique, et principalement en barrique neuve : la chauffe de la barrique. Je considère que cette chauffe doit être la moins forte possible afin de ne pas masquer les arômes par des notes vanillées voire coco, voire torréfiées, lourdes qui enlèvent toute grâce au vin. De plus les vins élevés en barriques sont généralement des vins de garde. Une dégustation à la mise, par exemple, n’a pas de sens. Enfin, je me souviens d’une dégustation verticale des blancs de La Louvière à l’occasion d’un Vinexpo avec deux types de vinifications, inspirées par deux grands maîtres : Émile Peynaud puis Dénis Dubourdieu. Cuves inox pour le premier, barriques neuves avec baronnage pour l’autre. Quand on dégustait les derniers « millésimes Peynaud » et les « premiers millésimes Dubourdieu » il n’y avait guère de différence. Au bout de dix à quinze ans, le terroir avait pris le dessus sur La vinification.
Je transmet votre commentaire à l’auteur de l’article…
La réponse de l’auteur, Valérie Lavigne : l‘intensité de la chauffe des barriques a certes une incidence considérable sur l’impact olfactif du bois au cours de l’élevage des vins, mais la taille du contenant joue un rôle plus significatif encore. L’expérimentation rapportée dans notre article s’attache surtout à montrer en quoi l’utilisation de grands contenants de bois est particulièrement adaptée à l’élaboration des vins de sauvignon. Elle permet en effet, mieux que des barriques ou des cuves inox, de maintenir ces vins dans un état d’oxydo-réduction propice à limiter les phénomènes d’oxydation susceptibles d’éroder l’arôme fragile de ce cépage, tout en permettant d’éviter les phénomènes de réduction.
Les vins peuvent ainsi être maintenus sur lies totales et préserver leur potentiel de garde, sans que les procédés mis en œuvre dans leur élevage ne viennent masquer leur personnalité et donc pervertir leur origine.