Qui imaginerait des domaines vinicoles dans de pareils endroits ? Tout près de la frontière israélo-égyptienne, dans un paysage de bout du monde, aride et rocailleux, se situe pourtant le domaine et la cave de Ramat Negev, où, en ce matin déjà chaud de mars, une vingtaine de viticulteurs, venus de toute la région du Néguev, se réunissent pour discuter de leurs pratiques et de leurs projets communs.
Confrontés, lors la création de leurs exploitations, à partir des années 1990, à la sécheresse et aux grandes chaleurs, ces pionniers israéliens sont allés se former dans des terroirs à la réputation bien établie, en Italie, en France, en Californie, mais ils ont ensuite développé des techniques originales, adaptées aux conditions extrêmes dans lesquelles ils évoluent, techniques qui, dans une période de réchauffement accéléré du climat, intéressent désormais plus au nord…
Zvi Remak est l’un des tout premiers à avoir tenté l’aventure, produisant d’abord des pêches avant de se consacrer à la vigne, dans un kibboutz de Sde Boker. « Le Néguev repose sur un océan d’eau saumâtre, mais les vignes ne supportent pas ce type d’eau. Ici, on irrigue avec de l’eau douce, en utilisant des systèmes de goutte-à-goutte qui permettent également de fertiliser de manière contrôlée. »
Zvi Remak vend aujourd’hui son vin aux touristes qui visitent Sde Boker, lieu mythique où vécut et où est enterré David Ben Gourion, le premier chef de gouvernement du pays. Inspirés par ce père fondateur qui appelait les Israéliens à « faire fleurir le désert », les viticulteurs de la région ont affronté les obstacles de manière méthodique.
« Nos terroirs sont sans doute parmi les plus difficiles à cultiver du monde, mais ils ont aussi leurs avantages », affirme David Pinto, à la tête d’une exploitation familiale francophone. « La sècheresse diminue les problèmes posés par les insectes et la pourriture. De grandes différences de température entre le jour et la nuit favorisent la maturation. Les froides nuits d’hiver renforcent les vignes. Dans ce contexte, certains cépages prospèrent », explique-t-il.
Si la viticulture s’est récemment développée dans le Néguev grâce à la micro-irrigation, la culture est ancienne dans cette région aride. Aujourd’hui, Israël est le leader mondial de cette technique. La société Netafim, qui domine le marché international, a d’ailleurs été créée dans cette région, au milieu des années 1960, à partir des inventions d’un ingénieur d’origine polonaise et de son fils, divisant par deux, grâce à cette irrigation au plus juste, la consommation d’eau agricole par tête en Israël, et faisant de leur kibboutz un des plus riches du pays…
« En réalité, le problème du manque d’eau est largement résolu grâce à cette micro-irrigation, pour l’essentiel, à partir d’eau usée retraitée ou d’eau de mer désalinisée. Mais ce sont les températures excessives pendant l’été et le rayonnement solaire trop intense qui rendent la viticulture difficile, abîmant les fruits et nuisant à la qualité des vins », observe Aaron Fait, chercheur à l’Institut Jacob Blaustein pour l’étude du désert. Pour le biochimiste, l’enjeu principal est donc de parvenir à créer de l’ombre, d’une manière ou d’une autre, pour abriter les raisins.
Les filets d’ombrage sont une solution, d’autant qu’ils protègent également les raisins contre les méfaits des oiseaux. Présentés sous forme de tunnels, ils entourent les grappes dans bien des exploitations de la région. Les scientifiques mènent des recherches pour identifier précisément la couleur la plus adaptée et la bonne largeur de mailles, permettant d’ombrer suffisamment les raisins, mais pas trop. « Grâce aux filets, on arrive à faire baisser de 30 à 60% les effets des radiations », note Aaron Fait. Italien d’origine, né à Bolzano dans les Dolomites, le chercheur est ensuite passé par le célèbre Institut Weizman, avant de s’installer à Sde Boker, en tant qu’expert de la viticulture en milieu aride.
Des recherches sont aussi menées pour favoriser un ombrage naturel par les feuilles avec de nouvelles techniques de palissage qui produisent une plus large canopée au-dessus des grappes, même si cela augmente la consommation d’eau », explique-t-il.
Troisième solution : la taille en gobelet, une pratique traditionnelle autour de la Méditerranée qui a montré depuis longtemps son efficacité dans les régions très ensoleillées, aux températures élevées, mais qui exige des vendanges manuelles.
« Les recherches en cours permettent d’améliorer constamment la qualité de nos “vins du désert”. Mais elles peuvent apporter beaucoup aux viticulteurs confrontés au réchauffement », observe Aaron Fait, qui multiplie les interventions internationales.
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