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La minute marché, avec Francis Boutemy

Les réflexions d’un témoin privilégié de l’évolution du monde du vin à Bordeaux. Constats et perspectives.

 

 

Baisse des ventes et Bordeaux Bashing

 

La consommation de vin toutes couleurs confondues baisse hélas inexorablement : -5% par an. Et, selon les prévisions, cela va continuer encore plusieurs années. En cause, notamment des campagnes anti alcool, sans discernement, sans reconnaissance des bienfaits d’une consommation raisonnée de vin. Mais aussi la modalité des repas en famille qui a évolué, les maisons sans caves, une culture du vin qui ne se transmet plus, ou difficilement, de génération en génération, et une mode privilégiant d’autres habitudes… Tout le vignoble est en crise mais celle-ci est particulièrement vive à Bordeaux.

 

Le consommateur zappe, c’est une pratique relativement récente. Alors que l’on n’a jamais fait des vins aussi bons à Bordeaux, la région a traversé un Bordeaux Bashing violent. Jusque dans notre capitale régionale où certains restaurateurs refusent nos vins à leur carte,. Stupide attitude qui se retourne contre eux. Le touriste qui vient à Bordeaux est content de se voir proposer un vin de la région ! Bordeaux était une référence, chez les cavistes en France comme à l’étranger, elle était la plus représentée dans leur magasin.

 

J’ai tellement entendu : Bordeaux est cher et compliqué. Cher. pour certains, oui, ces quelques vins connus et reconnus, 2 à 3% qui sont à des prix stratosphériques, mais, ils ont une clientèle mondiale qui les suit. Les principales revues de vin ne parlent que d’eux, et ne dégustent majoritairement qu’eux. Le consommateur, en comparaison, entend que l’on peut acheter une bouteille de Bordeaux à 1,99 euros. Hors de ces deux extrêmes soit 90% de la production, c’est le meilleur rapport qualité-prix au mondeCompliqué ?  Certes, il y a 7.000 propriétés à Bordeaux, 10.000 étiquettes différentes, chacune revendiquant son authenticité. Comment faire son choix ?

 

 

Innover… Sans se renier

 

Peu avaient prévu que la situation actuelle pouvait devenir aussi compliquée. Le vin se vendait et naturellement les plantations de vignes ont suivi. Seulement, l’équilibre offre/demande est devenu instable et, facteur non prévu, la consommation baisse. Conséquence, le marché s’effondre. Toutes les appellations sont touchées. Dans le futur, seuls, les viticulteurs sachant maitriser leur commercialisation pourront s’en sortir. Pour les autres, peu de voies possibles hormis changer la destination de leurs parcelles, produire plus de blanc (couleur plus adaptée en ces moments de changement climatique) en surgreffant et trouver de nouvelles cultures adaptées au sol et au climat… il faut anticiper sinon tout sera perdu et il ne faut pas compter sur les aides.

 

Il ne faut pas oublier cependant que l’identité de Bordeaux est de produire en priorité des vins rouges. Après une dérive due à une production de vins hyper-extraits, hyper-boisés, oubliant qu’avant tout un vin de bordeaux doit-être un vin tout en finesse, en harmonie, en élégance. Il faut continuer à offrir au consommateur ce qui a fait la renommée de nos vins et rester sur le classique. C’est ce que l’on sait faire de mieux en mieux grâce à de talentueux professionnels. Chaque région doit apporter son identité, pour préserver la diversité de l’offre. Tant mieux que l’on puisse zapper chez les meilleurs car les copieurs ne seront jamais les meilleurs. Bordeaux doit rester Bordeaux. Cependant, les paramètres ne sont bien sur pas immuables, il faut aussi rester à l’écoute des goûts du marché, suivre les évolution techniques, diversifier son offre.

 

 

Bordeaux dans 10 ans ?

 

Que sera Bordeaux dans 10 ans ? De nombreuses propriétés auront changé de main outre la situation économique de chacun, il faut aussi prévoir et anticiper sa succession, sinon la transmission d’une génération à la suivante sera impossible. Y aura-t-il des acheteurs pour tous ces vignobles vacants ? Dans un contexte compliqué dû à l’évolution du climat, aux problèmes environnementaux, à la consommation qui sera de plus en plus sélective ?

 

Pour ceux qui resteront, je me plais à imaginer un monde viticole qui aura su évoluer et s’adapter. Nous sommes dans un monde de passion qui donne du plaisir et il le restera grâce à de nouveaux acteurs passionnés aussi bien à la production qu’à la vente. Mais pour en arriver là, il faut rester lucide et faire le bon choix au bon moment.

 

A Haut-Lagrange, sur notre petite propriété familiale de 8,4 ha en Pessac-Léognan, nous faisons des vins « Classiques », sur l’élégance. L’encépagement en blanc s’appuie sur les 2 cépages phare : sauvignon et sémillon. En rouge, merlot et Cabernet-Sauvignon. Une culture du sol mécanique, une vinification privilégiant le fruité et la finesse mais aussi une maitrise de la commercialisation de nos vins.
Ce classicisme, que nous revendiquons, dont les qualités organoleptiques ont écrit l’histoire de Bordeaux et de Pessac-Léognan en particulier est notre présent et sera notre futur. Ces vins restent et resteront uniques.

 

 

Francis Boutemy

 

De part ses activités multiples, Francis Boutemy est un des témoins privilégiés du monde du vin de Bordeaux… Près de cinquante ans au service du vin. Tout d’abord comme négociant, ensuite régisseur de propriétés et pour terminer propriétaire à Pessac Léognan. En 1990, il devient chargé de communication de cette appellation pour poursuivre comme président de nombreuses associations de producteurs bordelais et président du Conseil des Vins de Bordeaux. Affable et toujours de bon conseil, il a accepté au moment de prendre sa retraite de responsable, de nous relater près d’un demi-siècle d’activités ainsi que son avis autorisé sur la situation vécue par tous les acteurs du vignoble bordelais.

 

Château Haut-Lagrange

 

Article réalisé par Bernard Sirot
Journaliste et dégustateur Vintaste

 

 

 

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