Accueil / Portraits d’acteurs / Portrait d’actrice : Juliette Bouetz
« Mon père est devenu fou ! » C’est ce que pense Juliette quand, en 2011, son père, Sébastien Bouetz, lui annonce qu’il quitte sa carrière de directeur technique dans de grandes propriétés viticoles du Bordelais pour créer Cheval des Vignes avec le soutien indéfectible de sa femme, Sandrine. Juliette s’apprête alors à quitter la France pour une expérience d’expatriation. « Même si nous avions grandi non loin des vignes dans une famille adepte de l’équitation, avec mon frère et ma sœur, à l’époque, on ne comprend pas trop l’idée consistant à devenir paysan. »
Son séjour aux antipodes l’éloigne des premiers chapitres de cette histoire familiale. Commerciale pendant deux ans et demi en Australie, puis installée en Alsace avec son mari, elle occupe les fonctions de directrice grands comptes et considère alors sa voie toute tracée loin des vignes et des chevaux.
Comme une plongée en enfance à chacune de ses visites familiales dans le Bordelais, Juliette aime passer du temps avec les chevaux. C’est son mari qui lui ouvre les yeux. « Moi, je pense que ton avenir est à Cheval des Vignes », lui dit-il lors d’un trajet de retour mémorable entre Bordeaux et Strasbourg. La discussion dure neuf heures pour se conclure par la décision de rejoindre l’aventure familiale.
Il y a un peu plus de cinq ans, Juliette intègre Cheval des Vignes pour développer l’activité, de même que les volets communication et marketing. « Et puis, un jour, j’ai donné un coup de main pour remplacer une salariée dans les vignes, et c’est là, au cœur des alignements, derrière le cheval que je me suis dit : je veux rester. » Longtemps mal à l’aise avec les chevaux, son mari ne tarde pas « à tomber amoureux de cet univers. »
Pour Juliette, cette révélation marque un tournant décisif. « Aujourd’hui, pour rien au monde je ne repartirais vers ma vie d’avant. » De même qu’une prise de conscience pour le moins inattendue : « C’est indescriptible comme sensation. Jamais je n’ai été autant épanouie dans un travail. » Celle qui affirmait « ne jamais vouloir travailler avec des chevaux, ni bosser en famille » se découvre une passion insoupçonnée. Ce changement de vie radical parfaitement assumé est source d’une profonde satisfaction : « il n’y a pas un jour où je ne sois pas heureuse de me lever pour aller travailler. Quelle chance extraordinaire ! »
Débutée avec Surprise et Bohême, deux juments percheronnes, l’histoire de Cheval des Vignes se poursuit aujourd’hui avec une quarantaine de chevaux. L’entreprise familiale travaille avec une trentaine de propriétés viticoles. Elle emploie quatre salariés permanents. Sébastien, Juliette et Marion tout à la fois meneurs et dresseurs pendant les 3 mois d’hiver mis à profit pour le débourrage des jeunes chevaux. « Il faut créer la confiance pour parvenir à accrocher un outil derrière un cheval, lui apprendre à tirer le plus doucement possible, avancer lentement… » Depuis trois ans, l’équipe s’enrichit une semaine sur deux de Paul, jeune alternant « arrivé un peu par hasard et devenu mordu de Cheval des Vignes. « En pleine saison, nous sommes sept meneurs dans les vignes. » L’équipe s’étoffe de février à août de trois saisonniers : Louis, Agathe et Vincent.
Cheval des Vignes se distingue par son modèle économique. Contrairement aux autres prestataires de la région qui possèdent moins de dix chevaux, Sébastien Bouetz a rapidement opté pour la constitution d’un cheptel conséquent lui permettant « de répondre aux besoins de nombreux clients, de lisser l’activité sur davantage de mois dans l’année et de disposer d’un vrai modèle économique qui fait vivre l’équipe. »
Pour Juliette, l’avenir de la traction équine passe par la formation et la transmission. Cheval des Vignes est aussi un organisme de formation. Quand on lui demande si elle ne forme pas ses concurrents, sa réponse est claire : « Le terrain est encore très grand en France où moins de 5% de propriétés viticoles font appel au cheval. Et, plus il y aura de meneurs formés à la traction équine, plus cela donnera de crédibilité à notre activité. »
Véritable atout environnemental et technique pour le travail des vignes, la traction équine, présente une empreinte carbone très réduite. Elle permet aussi et surtout de préserver les sols. Les chevaux ne passent jamais exactement au même endroit, ce qui évite le tassement. Un atout précieux particulièrement en viticulture biologique où les passages sont fréquents. Cette approche maintient une vie microbienne active et une meilleure aération des sols comparativement aux machines.
Cheval des Vignes ne prône pas le « retour au Moyen Âge » et ne s’oppose pas farouchement aux tracteurs. Son état d’esprit ? Une conception de la traction équine venant en « complément intelligent au tracteur. » Meneurs et chevaux excellent là où la précision est primordiale : entretien minutieux, travail autour des vignes fragiles, jeunes ou anciennes. Dans toutes ces situations le cheval surpasse le tracteur en finesse. Dressés spécifiquement, ces animaux s’arrêtent instinctivement lorsqu’ils rencontrent un pied de vigne, le meneur peut alors décaler son outil et préserve ainsi le patrimoine végétal.
Le cheval apporte aussi une dimension humaine unique : discrétion sonore permettant de travailler tôt sans gêner le voisinage, et surtout un capital sympathie exceptionnel. Sur les routes, sourires, saluts et discussions spontanées accompagnent le passage de ces équipages, créant un lien social que peu de métiers offrent et que les tractoristes ne connaissent malheureusement pas.
Au-delà de l’aspect technique et environnemental, c’est la relation avec l’animal qui anime Juliette. « Il y a le côté exceptionnel à travailler avec des animaux, à partager un effort physique à deux. Les chevaux sont des animaux hyper généreux, capables de se donner corps et âme pour faire notre travail. C’est une chance inouïe de faire équipe avec eux ! »
L’avenir de Cheval des Vignes, Juliette l’envisage ainsi : « continuer de grandir, de former, de faire évoluer nos techniques en fonction des besoins de nos clients et en collaboration avec eux. » Entre tradition et innovation, elle continuera de tracer son sillon, guidée par ses percherons et une passion communicative pour un métier qu’elle n’imaginait pas exercer un jour.
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