Accueil / Dossiers / Les vignerons ligériens mieux armés pour l’avenir grâce à la recherche sur le sauvignon
Les maladies du bois et une diversité génétique qui s’appauvrit de plus en plus représentent deux enjeux majeurs pour le secteur vitivinicole au niveau mondial. Le Service interprofessionnel de conseil agronomique de vinification et d’analyses du Centre (SICAVAC) à Sancerre a souhaité aborder ces deux problématiques à travers un programme de recherche dédié au sauvignon blanc.
Historique
Au début du 21ème siècle, les vignerons du Centre-Loire devenaient de plus en plus conscients du fait que les vignes plantées en sélection massale avant 1960 disparaissaient peu à peu parce qu’elles arrivaient en bout de vie. Dans le même temps, seule une dizaine de clones étaient plantés, dont seulement quatre ou cinq majoritaires. La Loire n’est pas la seule région à assister à un tel appauvrissement de la diversité génétique. Selon François Dal, conseiller viticole auprès du Sicavac à Sancerre, il s’agit d’un phénomène mondial : « On a développé les clones partout et dans toutes les cultures, y compris dans l’élevage où trois ou quatre taureaux sélectionnés pour leur performance sont à l’origine de toutes les vaches laitières françaises par race. La vigne n’a pas dérogé à cette règle ». Contrairement à d’autres cépages, qui ne comptent qu’un ou deux clones, le sauvignon fait partie des mieux lotis, avec environ 25, mais seuls 10 sont réellement utilisés et 5 dans la majorité des cas.
La quête de vieilles vignes
Entre 2000 et 2005, le Sicavac a donc été chargé de développer la sélection massale pour conserver la diversité génétique du vignoble. Mais au fur et à mesure que le projet avançait, d’autres problématiques se sont imposées, notamment celle des maladies du bois qui ont explosé entre 2005 et 2010. « Nous avons beaucoup travaillé sur des aspects comme la taille pour essayer de limiter ce problème de maladies du bois et nous avons mis en évidence l’impact de la qualité des greffes », explique François Dal. Ainsi, les chercheurs se sont appliqués à obtenir des greffes de meilleure qualité, exemptes de maladies. La première phase des recherches a permis d’isoler 267 ceps à partir de vignes datant de 1960 et de 1910. « Nous savions que nous aurions des vignes pour certaines plus vigoureuses que d’autres. Entre les bois qu’on prélève sur une vigne qui a 100 ans, et les jeunes individus qu’on en fait, on peut avoir quelques surprises : on peut avoir de petits raisins dorés liés à l’âge et à la vigueur de la vieille vigne, mais on peut aussi se retrouver avec des raisins beaucoup plus gros et des grappes beaucoup plus compactes. Nous savions que nous aurions cette diversité importante et nous l’acceptions parce que nous recherchions cette diversité génétique ». Les variations nées de la sélection massale en termes de rendement et d’équilibre peuvent être maîtrisées au moyen de l’ébourgeonnage, mais au bout du compte, elles apportent une complexité que l’on n’a pas avec des clones.
Deux sélections
Une fois les 267 lignées plantées, François Dal a réévalué la qualité de chacune d’entre elles sur différents critères, notamment la compaction des grappes, la charge moyenne et l’équilibre global du plant. Il les a ensuite répartis en deux catégories, baptisées Typicité et Excellence. La sélection Typicité est plus productive tandis que l’Excellence – comme on pouvait s’y attendre – est plus adaptée aux terroirs et aux vins plus qualitatifs. « Cela nous permet d’avoir quelque chose d’un peu plus cohérent pour les vignerons, qui se rapproche un peu plus de ce dont ils ont l’habitude avec les clones », précise le conseiller viticole. Le choix de telle ou telle sélection correspond en partie au terroir et en partie aux objectifs de production du vigneron. « La sélection Typicité offre une production plus importante, avec des grappes plus compactes et un peu plus grosses, donc un peu plus sensibles à la pourriture mais moins sujettes à la coulure. Sur la sélection Excellence, on obtient une production un peu plus faible, avec des grappes moins compactes, moins sensibles à la pourriture et plus sujettes à la coulure ». Des essais en micro-vinification ont révélé par ailleurs des profils organoleptiques différents : « Les vins de la sélection Typicité sont plus expressifs, plus vifs, plus sur le fruit et la vivacité. Les vins Excellence sont un peu moins expressifs au niveau du nez mais plus volumineux, plus gras et équilibrés avec plus de matière ».
Le réchauffement climatique ne pose pas problème…pour l’heure
A une époque où le changement climatique suscite bon nombre de préoccupations, le Sicavac a également sélectionné une vingtaine de ceps très faibles producteurs de sucre, avec une maturité plus tardive. Pour l’instant, ces ceps n’ont pas été développés. « Jusqu’à présent, le réchauffement climatique a eu un impact plutôt positif dans notre région », estime François Dal. « Dans les années 70, nous avons vécu des années froides et tardives où les vins présentaient des maturités compliquées. Le réchauffement climatique nous permet depuis quinze ans d’avoir tous les ans des maturités abouties, des vins presqu’idéaux… Si le réchauffement continue d’évoluer il faudra qu’on réagisse mais pour l’instant cette sélection n’a pas été utilisée. Nous considérons que nous ne sommes pas encore dans une phase où nous avons de réels problèmes avec le réchauffement ». En revanche, le Sicavac a dû se pencher sur un problème plus pressant, celui de la qualité des greffes. Il a donc contractualisé avec quatre pépiniéristes pour garantir cette qualité afin de lutter plus efficacement contre les maladies du bois. « Il y a un siècle, les vignerons eux-mêmes produisaient leurs propres greffes. Désormais, ils sont produits en externe, chez les pépiniéristes ». Face au défi technique soulevé par cette tâche, et compte tenu de leur volonté de ne pas nuire à la profession de pépiniériste dont ils ont besoin, les vignerons n’ont pas voulu se réapproprier ce métier compliqué et prenant. Un cahier des charges détaillé a été élaboré et quatre pépiniéristes ont accepté d’y adhérer.
Moins coûteux à terme
A contrario, l’équipe du Sicavac a décidé de produire les bois de greffons et de maîtriser elle-même les sélections massales à travers la création d’une structure dédiée, Ceps Sicavac, qui produit également quelques clones. Huit hectares de terrain ont été achetés, dont quatre ont déjà été plantés, la plupart en sélection massale. Le coût total du projet, financé par le Sicavac et les appellations de la région, dépasse largement 200 000 euros. Les vignerons ont commencé à passer commande l’hiver dernier et seront livrés au printemps prochain. Le prix des plants, supérieur d’environ 50% à du matériel végétal classique, pourrait en décourager certains. Pour sa part, François Dal souligne les économies générées à long terme : « La grosse majorité des vignerons se rendent compte que cette charge supplémentaire ne représente rien par rapport aux coûts liés aux maladies du bois. Ne serait-ce que si cela permettait aux plants de vivre un an de plus, ce surcoût serait largement rentabilisé. Certes, 80 cts de plus par plant sur des densités de 7 000 pieds à l’hectare est significatif – cela représente 5 000 euros de plus à débourser au moment de la plantation. Mais, lorsqu’on consacre entre 25 000 et 30 000 euros à l’hectare, on peut relativiser ces 5 000 euros. En revanche, quand un pied meure, le remplacement plus l’entretien jusqu’à la production représente une quinzaine d’euros et si on ajoute la perte de production, on arrive à plus de 30 euros par pied ».
Bilan ?
La capacité de ces nouveaux plants à résister aux maladies du bois, et à renforcer la typicité et la qualité des vins du Centre-Loire, ne se révélera que sur la durée. « Les premiers symptômes de maladies du bois apparaissent autour de 10 ans et elles sont très affectées autour de 15 ans ». Entretemps, les chercheurs et techniciens pourront mesurer la qualité des greffes à partir de la régularité des plantations et des taux de réussite. Des micro-vinifications donnent déjà un aperçu des résultats intéressants obtenus à partir des vignes plantées en sélection massale. Mais comme bien souvent dans le milieu du vin, il faudra être patient pour obtenir un bilan complet…
Source : Sharon Nagel pour le Comité de pilotage pour favoriser les échanges sur le sauvignon
Les organisateurs du Concours Mondial du Sauvignon ont mis en place un comité de pilotage composé de 8 professionnels du vin ayant des compétences rédactionnelles et une connaissance du cépage. Ils constitueront, au fil des mois, un fonds documentaire dans lequel professionnels et consommateurs pourront aller puiser pour en savoir plus sur ce cépage aujourd’hui omniprésent dans le monde, mais qui n’a sans doute pas encore révélé toutes ses qualités et ses spécificités.
Les membres du Comité de pilotage : Sharon Nagel : journaliste freelance (Royaume-Uni/France) ; David Cobbold : journaliste à Vino BFM, Les 5 du vin (Royaume-Uni/France) ; Pedro Ballesteros : Master of Wine (Espagne) ; Roberto Zironi : chercheur-professeur (Italie) ; Valérie Lavigne : chercheur-professeur (France) ; Philippo Pszczolkowski Tomaszewski : œnologue-professeur (Chili) ; Paul White : journaliste au World of Fine Wine, Decanter (Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, France) ; Roger Voss : journaliste au Wine Enthusiast.
www.cmsauvignon.com – Prochaine édition 2 & 3 mars 2018 à Graz (Autriche)
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