Difficile d’imaginer un autre endroit au monde où le sauvignon blanc était autrefois important, puis est tombé en désuétude, pour enfin revenir sur le devant de la scène. L’Oregon correspond à ce profil. Le Dr Paul White raconte les déboires, et le retour en grâce, du sauvignon dans cet Etat de la région Pacifique nord-ouest des États-Unis.
La production actuelle est certes confidentielle, mais le niveau qualitatif est très élevé. En effet, tous ceux qui connaissent les grands vins de Sancerre et de Pouilly sauront reconnaître immédiatement le potentiel qualitatif de l’Oregon.
L’histoire commence avec une petite leçon de géographie. La Bourgogne, l’Alsace et la vallée de la Loire ont pour point commun de chevaucher le 47ème parallèle. La principale région viticole de l’Oregon, la Willamette Valley, se trouve à cheval sur le 45ème parallèle, comparée à la Californie qui, elle, se situe entre le 34ème et le 38ème. Malgré ce, une stricte comparaison numérique entre le 45° et le 47° ne tient pas compte d’un facteur qui vient compliquer les choses. Les régions européennes subissent une influence climatique plutôt de type continental, tandis que le climat dans l’Oregon se caractérise par un temps humide et frais qui provient du Pacifique nord. Cette influence maritime couplée à l’ensoleillement indirect apporté par l’été indien typique des régions du nord prolongent le cycle végétatif dans l’Oregon, sous un climat bien tempéré. Résultat ? Des vins exhalant des arômes exacerbés, une structure plus raffinée et une acidité naturelle plus élevée que l’on trouve habituellement dans les régions plus méridionales.
Des similitudes avec leurs homologues européens
Ajoutons à cela, quelques détails historiques. L’Oregon se singularise comme étant la première région viticole du Nouveau Monde à s’orienter résolument vers les cépages caractéristiques de l’Europe du Nord, pour les cultiver sous un climat frais du même acabit. Certains vignerons avant-gardistes ont écarté la Californie, considérant que le climat y était trop chaud, pour s’installer dans les années 1960 sur les terres vierges de l’Oregon. Ils y ont planté notamment du pinot noir.
Ayant bien observé des compagnons de route du pinot noir en Bourgogne, dans la Loire et en Alsace, ils ont également implanté du riesling, du pinot gris, du chardonnay et du sauvignon blanc. La climatologie particulière de l’Oregon, caractérisée par des précipitations élevées et des températures plus basses que supposé au départ, les a obligé à adopter des pratiques culturales employées traditionnellement dans des zones européennes à climat frais. Autrement, les raisins n’arrivaient pas à maturité optimale. D’emblée, les vins de l’Oregon ressemblaient à leurs homologues européens, à tous points de vue.
Le décor étant ainsi planté, revenons à l’ascension du sauvignon blanc, suivi de son déclin puis de sa renaissance.
Une série de revers
Pendant les années 1970, bon nombre de caves orégonaises proposaient un style de sauvignon simple, abordable et prêt à boire. Autrement dit, un profil herbacé, peu corpulent et acidulé, voire en sous-maturité prononcée les années les plus fraîches. Mais au bout du compte, le profil des vins importait peu car les vins servaient essentiellement à générer de la trésorerie rapide et à compenser ainsi les coûts de production et d’élevage plus importants pour le pinot noir.
Depuis, trois développements majeurs ont scellé le sort du sauvignon. Premièrement, les sauvignons blancs californiens à climat chaud, baptisés Fumé Blanc et typés chardonnay, ont progressivement attiré l’attention des consommateurs au détriment du profil orégonais qui, lui, rappelle le style herbacé des vignobles à climat frais telle que la Loire. Deuxièmement, pendant les années 1980, l’Oregon a délibérément focalisé ses efforts sur le pinot gris, cherchant à en faire son porte-étendard pour contrer la montée du chardonnay californien. Cette orientation a fini par susciter la déferlante pinot gris/pinot grigio, véritable raz-de-marée où les Américains sont tombés amoureux d’un cépage aux caractéristiques variétales somme toute plutôt neutres, sans passage sous bois. Le coup de grâce est arrivé avec la rentabilité améliorée du pinot noir en Oregon, et une demande nettement supérieure à l’offre. Pendant les années 1990 et 2000, les dernières superficies de sauvignon blanc ont quasiment toutes été arrachées pour être replantées en rouge. Pris dans cette véritable tempête, le sauvignon orégonais a failli disparaître complètement.
Des pratiques viticoles plus soignées
Mais après avoir touché le fond, il a entamé une reprise, sous l’effet de plusieurs facteurs. Parmi eux, l’émergence du mariage flamboyant de fruits et d’herbes aromatiques, caractéristique des sauvignons blancs néo-zélandais. Ce nouveau profil a ouvert le champ des possibles dans l’esprit des consommateurs américains de Fumé Blanc. Plus important encore, une poignée de vignerons orégonais s’est rendu compte que pour élaborer de grands sauvignons blancs, il fallait y consacrer autant d’attention à la vigne qu’au pinot noir. Seule la maturité et la concentration permettent de mieux valoriser les produits. Traité avec le même respect dont fait couramment l’objet le pinot noir, le sauvignon blanc a subi une véritable cure salutaire.
La nouvelle vague de sauvignons de l’Oregon, qui ont bénéficié de pratiques culturales plus soignées, déploient un éventail d’arômes et de saveurs bien plus étoffé. La gamme varie entre de jolis arômes délicats de fleurs et des parfums d’herbes aromatiques séchées, en passant par toute la panoplie de parfums citronnés – citron, citron vert et pamplemousse – le tout souvent accompagné d’une trame minérale savoureuse ou d’arômes de silex. La texture est plus dense et plus linéaire que celle des Fumés californiens avec une concentration moins évidente, plus en arrière-plan, et toujours dynamisée par une acidité ferme naturelle.
Une pénurie de raisins
La valorisation du sauvignon en Oregon est en grande partie imputable aux initiatives de deux producteurs en particulier : J. Christopher et Patricia Green Cellars.
L’associé de Patricia Green, Jim Anderson, évoque le manque de disponibilités. Son exaspération est parfaitement compréhensible : « Nous pourrions facilement vendre trois fois plus de sauvignon que nous ne produisons, mais nous n’arrivons pas à acheter suffisamment de raisins ». Ils ont « proposé de payer plus de 2 500 $ la tonne, soit le prix d’un bon pinot noir, mais il n’y a tout simplement pas de volumes excédentaires de sauvignon sur le marché ». Ils ont même « proposé de rémunérer les producteurs qui acceptent de surgreffer du sauvignon sur des vignes de pinot gris – dont le prix ne dépasse pas 500$ à l’heure actuelle – mais pour l’instant nous n’avons pas de volontaires ».
Le sauvignon d’entrée de gamme commercialisé par Green Cellars provient de petites parcelles de vignes disséminées dans toute la Willamette Valley, auxquelles s’ajoutent leurs propres cuvées déclassées de vin du domaine. Il révèle un profil raffiné et croquant aux arômes agréables de fruits tropicaux doublés de senteurs mûrs de fleurs aromatiques. Un cran au dessus, le vin de domaine est élaboré à partir d’une parcelle d’environ 1 hectare plantée en 2001. Plus âgées, les vignes de cette parcelle donnent plus de profondeur et de concentration avec des arômes davantage sur la minéralité.
Le sauvignon bien placé pour retrouver sa place légitime
Jay Somers, de J. Christopher, s’est associé à l’Allemand Ernst Loosen pour élaborer trois cuvées de sauvignon. Il a la chance de pouvoir vinifier les raisins de son propre vignoble non irrigué planté à haute densité, tout en s’approvisionnant chez Croft, dont les vignobles sont les plus anciens et les plus célèbres de l’Oregon.
Leur cuvée entrée de gamme est un assemblage de parcelles situées à différents endroits de la Willamette Valley, vinifiées en cuve inox. Elle offre un profil ramassé, linéaire et immédiat, mettant en exergue des arômes fruités d’agrumes frais. La gamme au dessus, élaborée à base d’une sélection parcellaire de sauvignon, exhale des arômes de fruits et d’herbes aromatiques plus denses, plus prononcés et plus concentrés. Son style s’apparente à celui d’un beau Sancerre. Le fleuron, Uber, provient du vignoble Croft. Il est vinifié avec des levures indigènes dans des barriques en acacia de 500 litres suivi d’un élevage prolongé sur fines lies. Selon Somers, « l’acacia lui apporte des notes intéressantes de fleur de riz ». Un vin massif et dense, doté d’une texture riche, d’arômes quasi tropicaux, de tannins fermes et d’une belle acidité, Uber rivalise avec les sauvignons les plus fins.
La barre étant déjà placée haut, le sauvignon va inévitablement se refaire une belle place dans les vignobles de l’Oregon, place qu’il mérite pleinement.
Source : Comité de pilotage pour favoriser les échanges sur le sauvignon
Les organisateurs du Concours Mondial du Sauvignon ont mis en place un comité de pilotage composé de 8 professionnels du vin ayant des compétences rédactionnelles et une connaissance du cépage. Ils constitueront, au fil des mois, un fonds documentaire dans lequel professionnels et consommateurs pourront aller puiser pour en savoir plus sur ce cépage aujourd’hui omniprésent dans le monde, mais qui n’a sans doute pas encore révélé toutes ses qualités et ses spécificités.
Les membres du Comité de pilotage : Sharon Nagel : journaliste freelance (Royaume-Uni/France) ; David Cobbold : journaliste à Vino BFM, Les 5 du vin (Royaume-Uni/France) ; Pedro Ballesteros : Master of Wine (Espagne) ; Roberto Zironi : chercheur-professeur (Italie) ; Valérie Lavigne : chercheur-professeur (France) ; Philippo Pszczolkowski Tomaszewski : œnologue-professeur (Chili) ; Paul White : journaliste au World of Fine Wine, Decanter (Nouvelle-Zélande, Etats-Unis, France) ; Roger Voss : journaliste au Wine Enthusiast.
Article de Paul White, journaliste au World of Fine Wine, Decanter
www.cmsauvignon.com – Prochaine édition 3 & 4 mars 2017 à Bordeaux
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